Deux musiques que tout oppose ; deux publics drastiquement différents, mais une même capacité à créer un rythme authentique. Cette phrase résume assez bien le brassage entre le rap et la musique classique, une étonnante fusion qui a donné naissance à certains morceaux cultes de l’histoire du rap.
Quelle est l’histoire de cette étonnante combinaison ? Comment le rap s’inspire-t-il d’une musique fondamentalement différente ? Voici des éclaircissements.
Un voyage à travers l’histoire
L’association entre le rap et la musique classique peut paraître difficile, tant ces deux univers musicaux sont différents. La compréhension d’un tel mix nécessite le rappel des origines du rap et la raison qui explique son association avec la « bonne musique ».
Le succès du Rap
Le succès croissant de cette forme de musique a entraîné son exportation outre-Atlantique. Au début des années 80, des pionniers comme Dee Nasty et DJ Kool Herc ont lancé les premières soirées de rap dans l’hexagone.
Ces soirées musicales ont favorisé l’apparition de nombreux rappeurs et d’un marché de consommation. Désormais, le rap est considéré comme un outil de contestation avec lequel les jeunes Français et Américains pouvaient donner leurs points de vue sur la société.
Les premiers échos de la Fusion
Le succès du rap est aussi économique. Alors que cette forme musicale n’était qu’un enchaînement de rimes, son succès économique a poussé les artistes à construire des morceaux plus mélodieux. Si certains rappeurs ont tiré leur inspiration des musiques contemporaines, nombre d’entre eux se sont tournés vers la musique classique et ses compositions complexes.
Il faut dire que cette forme musicale, issue en partie des 18e et 19e siècles, constitue un formidable vivier de mélodie à exploiter. Pendant longtemps, la règle de clearance obligeait les artistes à demander une autorisation d’exploitation aux compositeurs propriétaires avant d’utiliser une musique préexistante.
Cependant, le début des années 80 a coïncidé avec l’arrivée dans le domaine public de nombreuses compositions musicales classiques. Ainsi, il devient possible pour les rappeurs de sampler certaines œuvres préexistantes sans risquer des poursuites judiciaires. La fusion entre le rap et la musique est née.
Le sampling : une technique de création
La fusion entre le rap est la musique classique se fait essentiellement sur la base du sampling. De quoi s’agit-il ?
L’art du sampling
Né dans les années 60, le sampling est une technique qui consiste à utiliser une source sonore préalablement existante dans un autre contexte musical. Pour faire simple, c’est l’utilisation d’une musique préexistante dans une nouvelle chanson.
Cette technique a notamment permis aux rappeurs français et US d’utiliser les œuvres de compositeurs classiques (telles que les œuvres de Chopin, Bach, Beethoven) pour poser leurs voix et rapper leurs textes.
Les exemples marquants
L’un des premiers sample de musique classique dans le rap est une œuvre de Coolio en 1997. Dans son titre « C U When U get there », il sample « le Canon de Pachelbel », un opéra composé par Johann Pachelbel. Au cours de la même année, EPMD sort un classique du rap avec son titre « KIM » dans lequel il sample la 40e symphonie en sol mineur de Wolfgang Amadeus Mozart.
En France, l’un des pionniers du sample est le groupe Suprême NTM. Dans sa chanson « That’s my people », ce groupe sample le « Prelude, op 28, no4 en mi mineur » de Frédéric Chopin. En dehors de ces « classiques » du rap, de nombreux groupes et rappeurs (Nas, Lunatic, etc.) ont fait des samples de guitare et repris de célèbres opéras à travers les années.
La fusion en direct : concerts et collaborations
La fusion du rap et de la musique classique ne s’est guère arrêtée à la fin du XXe siècle. Depuis le début des années 2010, de nombreuses stars réalisent des collaborations avec des orchestres pour produire des performances inoubliables et des événements innovants.
Par exemple, Hip-hop symphonique est un ensemble de plusieurs événements qui allient les vers tranchants du rap aux mélodies de la musique classique. En France, un tel projet a rassemblé plusieurs rappeurs de l’hexagone accompagné par un Live Band d’une dizaine de musiciens et d’instrumentistes.
Au-delà du sample, c’était l’occasion pour ces artistes de chanter sur des mélodies classiques et qui ne relèvent pas de leur univers.
L’impact sur l’écriture et la composition
Les mélodies complexes de la musique classique ont révolutionné le rap. Au-delà de son influence dans la création des beats, la musique classique influence considérablement l’écriture des textes.
En effet, ces compositions ont généralement des structures parfaitement définies. Bien que les rappeurs ne reprennent pas ces normes, nombre d’entre eux mettent désormais un point d’honneur à écrire des textes structurés qui racontent une histoire.
Cette influence s’observe également dans le lyrisme. À sa naissance, le rap était un mouvement contestataire caractérisé par des paroles tranchantes et acerbes vis-à-vis du système.
Bien qu’ils ne reprennent que rarement toutes les parties d’un opéra, de plus en plus de rappeurs s’évertuent à écrire des textes poétiques qui diffusent des messages. MC Solar est d’ailleurs l’un des précurseurs de cette nouvelle approche du rap.
La perception par le public
Selon de nombreux consommateurs, la fusion du rap et de la musique classique est contre-nature. Pour cause, le rap est considéré comme une musique de rue tandis que les compositions de musique classique sont assimilées à une musique de salon. Partant de ce principe, les premiers titres issus de la fusion du rap et de la musique classique ont reçu un accueil mitigé.
Toutefois, cette perception a grandement évolué, notamment depuis le début des années 2010. Ce changement est lié au fait que les samples de musiques classiques sont de plus en plus qualitatifs.
De même, le rap est un genre musical mieux apprécié en raison notamment de l’adoucissement des textes. Cette musique autrefois contestataire est devenue un moyen d’expression d’une frange de la population. En outre, de nombreux spécialistes de musiques classiques considèrent la fusion avec le rap comme une manière de pérenniser des œuvres musicales trop longtemps réservées à une élite.
Les artistes pionniers
Le succès croissant de morceaux de rap inspirés d’un opéra de la renaissance ou de la fin du XIXe siècle a entraîné l’apparition croissante de nouveaux types de rappeurs. Si des pionniers comme Coolio, Busdriver, Suprême NTM, Nas ou encore Mob Deep ont ouvert la voie à cette fusion, des rappeurs modernes comme Booba, Lino ou Techn9ne ont pérennisé cette forme de musique.
