À cinquante-et-un ans, Oxmo Puccino, figure emblématique du rap poétique français, vient de larguer les amarres d’un dernier opus. Cet album, paru en octobre dernier, marque la fin d’une aventure discographique entamée il y a plusieurs décennies. Mais attention, le rappeur ne tire pas sa révérence définitive : il annonce six mois de tournée dès novembre, histoire de prouver que le feu sacré brûle toujours. Ce qu’il confie à l’AFP traduit une lucidité rare dans le milieu : « Il faut choisir ses combats au bon moment et il faut bien admettre que la manière dont je conçois la musique vient du siècle dernier. » Une phrase qui résonne comme un testament artistique, sans nostalgie plaintive ni amertume déplacée. L’homme assume son héritage, mais refuse de maudire le présent. Il observe le paysage musical actuel, où les influenceurs cartonnent avec un simple single, et se pose la question du sens : à quoi bon passer des mois en studio si l’audience migre ailleurs ? Plutôt que de s’accrocher à un passé révolu, il préfère clore dignement cette ère pour mieux rebondir autrement. Cette réflexion sur l’influence musicale et la mutation des pratiques d’écoute mérite qu’on s’y attarde : elle témoigne d’une maturité artistique et d’une vision juste de la culture urbaine contemporaine.
Oxmo Puccino face à la nouvelle donne du rap français
Le constat dressé par Oxmo Puccino interroge le rapport au temps et à la création. Quand un artiste admet que sa manière de composer appartient au siècle dernier, ce n’est pas un aveu d’échec, mais une reconnaissance du changement d’époque. Le rap poétique qu’il incarne exige du temps, de la ciselure, un travail sur la langue qui tranche avec les codes actuels de viralité instantanée. Aujourd’hui, la Nouvelle Scène Française explose sur les plateformes de streaming avec des morceaux produits en quelques jours, parfois même en quelques heures.
Les algorithmes privilégient la fréquence de publication et la capacité à capter l’attention immédiate. Dans ce contexte, les artistes à texte comme lui doivent se réinventer ou accepter de passer le flambeau. Il n’y a là aucune fatalité, simplement une transformation des usages culturels. Et plutôt que de ressasser un « c’était mieux avant », le rappeur choisit d’embrasser cette mutation sans renier son approche. Cette posture témoigne d’une intelligence émotionnelle rare, une capacité à prendre du recul sans tomber dans le cynisme.
L’influence des réseaux sociaux sur la musique française
Les influenceurs investissent le terrain musical, et ils drainent des millions d’écoutes. Certains ne sont pas musiciens de métier, mais leur communauté les suit aveuglément. Cette réalité bouscule les repères traditionnels de l’industrie et place les voix engagées historiques face à un dilemme : s’adapter ou disparaître. Oxmo ne condamne pas cette évolution, il la constate et en tire les conséquences. Son album ultime devient alors une forme de manifeste, un dernier témoignage d’une époque où le fond primait sur la forme.
Pour autant, cela ne signifie pas que la musique française perde en qualité. Elle se diversifie, se fragmente, répond à des attentes variées. La cohabitation entre rap commercial et rap d’auteur demeure possible, mais les règles du jeu ont changé. Les artistes doivent composer avec une économie de l’attention qui privilégie la rapidité et la répétition. Dans ce contexte, la réflexion sociale portée par les textes complexes peine parfois à percer, sauf quand elle s’incarne dans des formats courts et percutants.
Un demi-siècle de colère qui s’estompe enfin
Dans La Fête des pères, l’un des dix-sept morceaux de cet album ultime, Oxmo lâche une phrase saisissante sur son « demi-siècle de colère en train de s’effacer ». Cette confidence révèle un travail intérieur profond. La colère, explique-t-il, prend du temps à soigner parce qu’elle plonge ses racines loin dans l’histoire personnelle et familiale. Rien n’est parfait dans le socle familial, et ces imperfections laissent des marques, des aspérités qui sculptent la personnalité.
Cette lucidité rappelle que le rap, au-delà de son esthétique, reste un art thérapeutique pour beaucoup. Les voix engagées du genre ont souvent transformé la souffrance en force créatrice. Chez Oxmo, cette colère ne se manifeste pas par l’agressivité, mais par une densité poétique, une gravité qui imprègne chacun de ses textes. Le fait qu’elle s’estompe désormais témoigne d’une évolution, d’une acceptation de soi et du monde. Cette paix retrouvée transparaît sans doute dans ce dernier disque, conçu comme une forme d’apaisement plus que de rupture.
Le poids du passé dans la création artistique
Les blessures d’enfance et les tensions familiales nourrissent nombre d’œuvres majeures. Chez les rappeurs francophones, cette dimension autobiographique constitue souvent le cœur du propos. Oxmo ne fait pas exception. Son parcours, marqué par une exigence littéraire et une sensibilité à fleur de peau, porte les stigmates de ces « aspérités » qu’il évoque. Mais contrairement à d’autres qui cultivent une rage perpétuelle, il choisit la voie de la réconciliation avec son histoire.
Cette démarche s’inscrit dans une tendance plus large de la culture urbaine contemporaine, où la vulnérabilité devient une force. Les artistes n’hésitent plus à dévoiler leurs failles, à parler de santé mentale, de reconstruction. Cette évolution enrichit le paysage musical et offre des modèles d’identification plus nuancés que les postures guerrières d’antan. En ce sens, le dernier album d’Oxmo s’inscrit dans une certaine maturité collective du genre.
Booba, le patron incontesté selon Oxmo Puccino
Lors d’une récente interview, Oxmo Puccino a rendu un hommage appuyé à Booba, qu’il qualifie de « vrai patron » du rap français. Cette déclaration peut surprendre, tant les deux artistes incarnent des esthétiques différentes. Pourtant, Oxmo reconnaît la domination du Duc sur le paysage musical hexagonal. « Comment tu veux en parler de Booba ? », interroge-t-il, avant d’ajouter que personne au monde ne peut contester son statut. Cette reconnaissance mutuelle entre figures du rap illustre une forme de respect qui transcende les styles.
Oxmo va même plus loin en affirmant que détester Booba revient à exprimer de l’amour. Cette formule paradoxale saisit bien l’ambivalence que suscite le Duc : impossible de rester indifférent face à lui. Que l’on adhère ou non à son univers, il occupe une place centrale dans le débat culturel français. Cette influence musicale dépasse largement le cadre du rap pour irriguer la pop culture, les réseaux sociaux, voire le langage quotidien. Oxmo, en saluant cette réussite, montre qu’il ne méprise pas les codes actuels, même s’il a choisi une autre voie.
Deux visions complémentaires du rap français
Booba incarne le rap mainstream, celui qui cartonne en streaming, multiplie les punchlines assassines et cultive une persona clivante. Oxmo, de son côté, représente le versant littéraire, celui qui mise sur la profondeur des textes et la subtilité des références. Ces deux approches ne s’opposent pas, elles cohabitent et enrichissent mutuellement le genre. L’un capte l’audience jeune et connectée, l’autre fidélise les puristes et les amateurs de rap poétique.
Cette complémentarité permet au rap français de rayonner sur plusieurs fronts, de toucher des publics variés et de maintenir sa vitalité créative. Oxmo l’a bien compris : reconnaître la réussite de Booba ne diminue en rien sa propre légitimité. Au contraire, cela témoigne d’une ouverture d’esprit et d’une capacité à apprécier la diversité des talents. Dans un milieu souvent marqué par les rivalités, cette posture fait du bien et rappelle que la grandeur réside aussi dans la capacité à saluer celle des autres.