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samedi, novembre 23, 2024

Les ventes sont-elles représentatives de la qualité d’un album ?

Depuis l’explosion de l’industrie musicale, une quantité faramineuse d’albums sort chaque semaine.

Ne pouvant pas tous les écouter, certains auditeurs ont décidé de n’écouter seulement les albums ayant comme certificat de leur qualité leur nombre de ventes.

Nous pèserons le pour et le contre afin de répondre à la question que tous les journalistes urbains s’attachant aux chiffres de mid-week se posent: les ventes sont-elles représentatives de la qualité d’un album ?

  1. Les hommes mentent, pas les chiffres

 1.1 Un album qui plait est plus écouté

Si l’on prend les 100 derniers top albums, la plupart sont entièrement constitués d’artistes ayant un instinct de vendeur de disques inné. Malgré de temps à autre l’entrée en top d’albums moins mainstream (Dinos avec Stamina ou Freeze Corleone avec La menace fantôme) la plupart d’entre eux ne tiennent pas dans la durée du fait de leur fragile “hype”qui tôt ou tard s’effondre pour laisser place à des artistes arrivant à pousser la longévité de leurs  projets à leur paroxysme.  Prenons l’exemple de Nekfeu: Les Étoiles Vagabondes sortis en 2019 est un projet qui par sa densité et sa promotion millimétrée a su faire dans la durée comparé à des albums comme celui de Freeze Corleone.

Tandis que LMF a quitté le top 20 au bout de 5 semaines, LEV y était encore présent à sa 77e semaine d’exploitation.  La conclusion un peu facile serait que “les étoiles vagabondes”  plaît plus que “la menace fantôme”.  Le nombre de ventes s’étend sur la durée ce qui prouve que l’album a aujourd’hui une fanbase solide, donc qui l’apprécie.  Évidemment, je compare l’incomparable mais “Les étoiles vagabondes” est un bon exemple de longévité. L’album a su vendre 100 000 copies en 2020 sachant qu’il est sorti en juin 2019. La hype est d’ailleurs encore présente. Il faut l’admettre, aujourd’hui un album qui plaît est plus écouté.

    1.2  Donc apprécié pour sa qualité

La question est la suivante: écouter un album est t’il l’apprécier ?  Honnêtement et objectivement: oui. À part pour l’aspect découverte d’un artiste, il nous arrive peu souvent de s’attarder sur un album ne nous plaisant pas, de même que personne ne va au restaurant pour commander le pire plat de la carte. La musique est là pour nous accompagner, pour ressentir des émotions précises et pour nous évader. Il y a certes le fait de parfois écouter de la musique à contre-cœur entraîné par l’effet de groupe mais nos goûts musicaux restent maître de nos playlists. Les ventes sont donc significatives de l’affection pour un album, mais comment sont-elles calculées et sont-elles vraiment objectives ?

    2. Mais les Hommes font parler les chiffres

 2.1 Les inégalités dans le calcul des ventes

Le calcul des ventes est aujourd’hui peu égalitaire. Pour résumer trois types de ventes existent: le physique (un album acheté = une vente), le digital qui est l’achat d’un l’album mais dématérialisé (un album téléchargé = une vente) et enfin il y a le streaming. Aujourd’hui le calcul du streaming est le suivant: 

Addition de toutes les écoutes en streaming des  titres de l’album (le titre le plus écouté est divisé par 2) divisé par 1500.

Entre 2016 et 2019, les écoutes provenant de plateformes de streaming ont triplé, dépassant pour la première fois les ventes physiques en 2018.  La snep a donc riposté en revoyant à la hausse sa grille de calcul, passant de 1000 à 1500 le nombre divisé de streams.

D’abord pour revaloriser les albums physiques, cela minimise aussi l’impact des projets écoutables seulement en ligne (majoritairement urbain).  Le streaming représente maintenant 70% des ventes d’albums rap.  De plus la snep a indiqué que seuls les streams premiums (écouté depuis un compte payant) étaient comptabilisés dans le calcul des ventes. La finalité est que certains albums vivant principalement des ventes physiques sont privilégiés.

Ressources IRMA

   2.2 La sur ou sous-exposition de certains artistes

Vendre des albums est une chose, encore faut-il la notoriété requise pour pouvoir prétendre à une place en top albums. C’est le travail des médias qui chaque jour essaient de donner à leurs échelles l’exposition nécessaire aux artistes. Les mentalités ont changé et contrairement à l’époque où il était plus que préférable d’être signé en maison de disques pour passer dans certains gros médias, à la radio et même à la télévision, aujourd’hui l’éclosion de nouveaux pure players urbains a changé la donne. Pourtant certains artistes ne préfèrent pas s’exposer médiatiquement (“si j’fais pas trop d’interview, c’est que j’préfère laisser l’son causer” – Lefa). 

Le problème est que ces artistes sont pour la plupart confronté à un dilemme: soit il ne s’exposent pas mais perdent en visibilité ce qui fera chuter leurs ventes, soit ils font exactement le contraire, quitte à avoir une rupture entre eux et leurs fans qui les trouveront “trop médiatique”, “trop mainstream” (Gims en est le meilleur exemple). C’est donc à l’auditeur de faire le premier pas et de ne pas attendre qu’on lui serve le top hit de la semaine.

Cela passe aussi par la capacité de l’artiste à ne pas faire de polémique et ainsi s’attirer involontairement un bad buzz, ce qui serait néfaste pour ces ventes. Revenons à notre comparaison Nekfeu/Freeze Corleone: le premier bien que talentueux lisse son propos afin de ne pas choquer ses fans. Pour Freeze, la sortie de La Menace Fantôme eu échos dans le paysage politique français à cause de paroles jugées “antisémite” et “négationniste”. La Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) réagira même sur Twitter face à l’affaire.

Cela entraînera une exposition médiatique pour Freeze Corleone sur des médias n’ayant pas un réel attrait pour la rap (BFMTV, CNEWS…) donnant lieu la plupart du temps à des débats stériles auxquels la télé est déjà acclimatée. Cette polémique a donc été néfaste pour le rappeur. Pour ceux voulant élargir le débat et confronter leur avis, Marianne a publié un article constructif sur le sujet: Retrouvez le ici.

Pourtant ne voyons pas le verre à moitié vide et notons que cette histoire sera un prétexte pour son manageur Shone d’inviter les fans à acheter le CD en physique, de peur que l’album soit supprimé des plateformes (et comme vu précédemment les ventes physiques ont plus de poids dans le calcul des ventes).

Vouloir vendre plus signifie aussi brider son propos.

3. Que représentent les ventes pour les artistes ?

3.1 Symbole de réussite

Il y a d’abord le sentiment de réussite. Vendre plus c’est surtout générer plus d’argent. Beaucoup de punchlines égotrip prennent donc leurs sources dans cette situation:

“Le rap français, je l’ai couillé, disque de diamant, j’viens de le plier”  Niska – Passa Passa (#booskaméchant)

“Trois ans, 700 000 albums au goulot” Sofiane – #JesuispasséchezSo: épisode 12

“100 000 albums vendus plus tard, on me critique tout le temps” Vegedream – Hartchounimek

3.2 L’indifférence du succès commercial

La deuxième façon de percevoir les ventes est celle de l’indifférence:c’est une démarche que l’on retrouve beaucoup chez les artistes indépendants, notamment chez Alpha wann ou Hugo TSR:

“J’pense à mes derniers jours pas aux ventes de la première semaine”  Alpha Wann – Philly Flingo

“Je ne lâcherais pas mes militants même pour avoir les 10 000 ventes”  Hugo TSR – Point final

“La maison de disques demande plus, être meilleur c’est pas vendre plus”  Vald – YAX3

Pour ces derniers artistes, augmenter son nombre de ventes se traduit par lâcher leurs fans de la première heure pour faire de la musique plus commerciale et produire de gros singles. Les singles, c’est ce qui permet à un artiste de se faire connaître et ce sont les son rapportant le plus d’argent à celui-ci. Damso en parlait dans Comment faire un tube sorti en 2015: “Comment faire un tube ? Faut parler de drogue, de sexe, de sky, de maille et de pute”. Le message de cette track est qu’avoir une bonne plume n’est pas nécessaire à la production d’un tube et que “rapper sans thème” est presque valorisant pour un hit car “sans fond”.

Vendre plus signifie souvent signer en maisons de disques ce qui représente l’aspect sombre de l’industrie musicale, ce dont ces artistes veulent s’éloigner.

“Si t’es au stud’ comme à l’usine, Babylone a gagné”  Népal – Babylone

Enfin le sentiment que beaucoup d’artistes partagent est le fait de privilégier d’avoir 10 fans fidèles que 100 auditeurs occasionnels. Pas exclusivement dans le rap, cette thèse était déjà partagé par Georges Brassens dans une interview auprès de Philippe Nemo en 1979: 

“Il me faut à peu près un mois, pour faire une chanson. Pas pour la faire, mais pour la refaire. Comme je chante pour être réécouté, je fais attention à ce que j’écris. Parce que quand on chante pour être écouté une seule fois, [ ça va ], mais quand on chante pour être réécouté, c’est l’épreuve la plus difficile, il faut tenir le coup. Alors il faut quand même soigner ce que l’on écrit. Et très souvent les choses écrites d’un seul jet, comme ça, et qui satisfont l’oreille du premier coup, ne résistent pas longtemps.”

Cela rejoint une autre phase de Damso sur le morceau On est jamais mieux compris que par soi-même: “J’veux être écouté plusieurs fois par un qu’une seule par plusieurs”.

4. Conclusion: est ce si important que ça de vouloir noter un album ?

Il y a deux réponses envisageable:

Oui car cela permet de montrer à l’auditoire quels sont les meilleurs albums à écouter du moment afin que celui-ci ne rate pas les meilleurs.

Non car cela insinue qu’avant d’écouter chaque album nous aurions besoin de l’approbation d’autres personnes, ce qui biaiserait notre avis.  De plus cela voudrait dire qu’un album dont l’on parle peu ne sera pas critiqué ou noté, donc encore moins de monde l’écoutera et ainsi il sera moins écouté. Ce cercle vicieux nous rapproche à chaque fois du haut du classement des artistes, éliminant les plus petits qui ont besoin d’exposition pour se développer. En 2019 seulement 4 % des albums ont atteint un disque d’or et 2 % un disque de platine d’après Ventes Rap.

ventesrap

Notre rôle à jouer en tant qu’auditeur est d’aller au-delà de ce que la Snep et les radios proposent pour laisser la chance aux autres artistes. À force de vouloir savoir quel album va être certifié chaque semaine, nous avons oublié que le rap ne s’arrête pas aux nombres de ventes.  

N’oublions pas que c’est un art dont la qualité n’est pas quantifiable. Le seul but est que chacun prenne plaisir à écouter son album du moment, qu’importe son nombre de ventes.

Max
Max
Rédacteur - Passionné de rap

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