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jeudi, avril 18, 2024

Interview: Jewel Usain, quand l’art et la manière se rencontrent

Carl Gustav Jung avait déclaré: penser est difficile, c’est pourquoi la plupart se font juges. Jewel Usain fait partie de la troisième catégorie de personnes: les observateurs. Face au monde, à autrui, l’artiste fait toujours preuve de son recul singulier.

Originaire du Val d’Oise et actif musicalement depuis plus de 10 ans, le rappeur francilien nous offre ce 7 mai l’EP Mode difficile. Problèmes sociétaux, rapport à autrui, querelles amoureuses et d’envie de réussite, l’EP résulte d’un savant mélange entre tous ces thèmes.

Pour l’occasion nous avons eu la chance d’échanger avec lui, essayant ainsi de percer le mystère Jewel Usain.

Yo Jewel, la forme ?

Ça va et toi mec ?

Très bien. Merci d’avoir répondu présent à notre interview ça nous fait super plaisir. On est à quelques jours de la sortie de “Mode difficile”, comment te sens tu ?

Et bah écoute je me sens super bien. Je me sens super bien parce que ça y est: je suis prêt à délivrer le projet et me délivrer aussi.

Parce que clairement ça a été beaucoup de taff, et là je le sens comme “ça y est, c’est bon on peut souffler tu vois.

Pas trop d’appréhension par rapport à comment le public va recevoir le projet ?

Si bien sur, mais t’as vu je sais qu’à instanté, moi j’ai donné tout ce que je pouvais donner à ce moment là tu vois. Y’a 10 morceaux frère y’en a au moins un où les gens me diront “il est bien” tu vois (rires) donc ça devrait aller.

Mode difficile est ton 6ème projet, quelle place donnerais-tu à cet EP dans ta discographie ?

Pour moi c’est le plus chaud, c’est celui qui est tout en haut genre si tu veux me découvrir c’est avec ce projet, pas un autre.

Ce serait ta carte de visite ?

Ouais alors tu vois j’trouverais ça réducteur de dire que c’est juste une carte de visite mais très clairement si tu veux me découvrir c’est avec ça. Ce que j’ai fait avant pour moi ça n’existe pas, ça ne compte pas frérot.

À ce point ?

Ouais mais tu vas voir je suis dans l’extrême (rires).

Tu avais d’ailleurs dit sur Instagram à l’annonce du projet que tu avais hâte d’être en interview et qu’on te demande le pourquoi du comment de “Mode difficile”. Pourquoi avoir baptisé ce projet ainsi et avoir réalisé un packaging format CD de jeu vidéo ?

C’est tout bête ça part d’une conversation avec Kidhao qui est le réalisateur de tous mes clips et qui est au delà de ça mon ami depuis plus de 10 ans peut être même 15, et en fait tu vois il connaît ma vie je connais la sienne et puis à un moment donné je me disais “frère j’ai beaucoup de trucs à faire: il faut que je fasse ci que je fasse ça… à un moment je sais pas pourquoi il m’a dit ça, nous on parle beaucoup en jargon de jeux vidéos et il m’a dit “whoa gros tu joues vraiment en mode difficile” et ça m’a tellement fait rire frère que je me suis dis “ok c’est bon c’est ça le projet: c’est mode difficile”.

Et franchement c’est tout bête, peut-être que sinon j’aurais jamais appelé le projet comme ça, mais ça a fait tilt direct.

Image extraite du teaser de Mode difficile, “La notice”

Est ce que justement mode difficile, est ce que ce ne serait pas une façon pour toi d’exprimer ton refus de la facilité ? D’essayer de faire des sons comme tu le sens et pas comme ce que les gens qui cherchent du chiffre veulent ?

Moi je suis très dans ce délire de “je propose ensuite les gens disposent” je veux pas que ce soit l’inverse. “En ce moment c’est ça qui est cool vas-y fais ça” flemme frère parce que sinon t’es personne.

Ce qui est vraiment difficile c’est d’imposer ta personne et c’est ça qui fait que j’ai pris un chemin compliqué, parce que j’ai toujours voulu imposer mon truc tu vois.

On constate un travail plus poussé que ce soit dans tes clips ainsi que tes shootings. Avec qui collabores-tu pour tes visuels ?

Ce sont toujours les mêmes personnes. Kidhao sur les clips, mais aussi Tiphen Kys sur les photos. En fait ce sont mes gars, c’est juste qu’avec le temps on a pris du niveau. Chacun fait ses trucs respectivement ailleurs, ce qui fait que quand on se retrouve à chaque fois et bien moi j’rappe un petit peu mieux, lui il prend de meilleurs angles de photos, lui c’est encore plus fluide quand il fait un travelling avec sa caméra tu vois ce que je veux dire ?

C’est à force de temps et en croyant en ses amis parce que c’est tous mes gars avant d’être mes collègues. En fait c’est même pas qu’on croit en eux c’est qu’on mise carrément sur eux.

C’est pour ça que c’est meilleur. C’est parce qu’ on s’est tous laissé le temps de devenir un peu meilleurs dans ce qu’on fait.

Ce qui fait que j’ai cette désinvolture et cette extravagance c’est que je prend de l’âge et donc du recul”

C’est intéressant ce que tu me dis parce que ça rejoint un peu le mode de pensée du rappeur belge Isha avec son gimmick LVA (La vie augmente). La thèse de cet acronyme c’est que on doit toujours faire plus, toujours être meilleur pour soi et pour les autres car stagner, c’est régresser.

C’est marrant parce que ça c’est l’essence même du nom de notre groupe qui s’appelle 99 01 en fait. Pour nous quand t’es arrivé à 99 bah faut toujours recommencer. T’es à 99 hop tu repars à 01 mais cette fois-ci avec l’expérience de la veille. Tout ça c’est une boucle, faudra à chaque fois recommencer c’est obligé, mais tu sera toujours plus fort.

Dans une interview pour Hip Hop Corner, tu expliquais que tu étais un enfant introverti. Pourtant aujourd’hui quand on te voit dans tes clips tu t’assumes et tu parais presque extraverti. Est ce que la musique a participé à ce changement ?

Ouais carrément parce que tu prends confiance en toi et puis moi je me vois un peu comme un youtubeur. Mes premiers échanges devant la caméra c’était un petit peu plus compliqué, c’était pas fluide… mais après les gens te donnent de la confiance parce qu’ils aiment ce que tu fais et puis toi au bout d’un moment t’arrives à un petit mieux t’assumer.

Et puis en même temps ce qui fait que j’ai cette désinvolture et cette extravagance c’est que je prends de l’âge et donc du recul. Donc forcément y’a des choses qui me paraissent moins importantes comme paraître ridicules.

J’ai l’impression que quand j’ai commencé la musique et bien c’est ça que j’ai toujours voulu faire

Avec qui est ce que tu as collaboré pour les instrumentales de l’EP ?

Essentiellement avec Antoine Bodson et son cousin Madka. C’est genre eux à 90% à la prod du projet. Ce sont mes gars, surtout Antoine depuis des années. C’est avec lui que j’ai fait mes premières scènes, à la base c’était mon guitariste. Ça a commencé comme ça et puis le mec il s’est mis à la musique, à la prod de manière beaucoup plus forte chaque années et ça aussi ça fait parti de ce que je disais, de miser sur ses amis.

En mode au début c’était pas des prods de ouf mais aujourd’hui le mec il a 8 prods sur 10 morceaux dans mon projet.

On retrouve un invité sur “Mode difficile”, Usky. Comment s’est faite la connexion ?

Très simplement, en fait on avait déjà collaboré sur le morceau de Nov (ndlr: Monsieur Nov) qui s’appelait Flamme, c’était en 2017 je crois avec 3010 aussi. On avait fait la connexion lors du clip et puis je me suis dis “putain le gars il est cool, il est sympa” et voilà c’est bien, c’est déjà un grand pas et puis ensuite on a fait le concert de Nov dans lequel on a réinterprété le morceau donc on était ensemble dans les loges. Ça rigole, ça raconte des histoires, des anecdotes, des trucs, des machins…

Tu sais le mec il est super til-gen de ouf il est simple et moi j’aime ça. Déjà pour faire de la musique faut déjà que j’ai un intérêt pour toi personnellement… et c’est ce qui est arrivé tu vois j’ai kiffé. Pour ce qui est du morceau, quand je l’ai écris je savais que je le voulais sur le refrain. On s’était pas vu depuis genre 2 ans, 2 ans et demi un truc comme ça mais quand j’ai écris le morceau je me suis dit “hé c’est ce mec là qu’il faut sur le refrain. C’est lui que j’entends sur le truc” et voilà tout naturellement il a répondu présent et il a tué ça comme je m’y attendais.

On s’est vu en studio y’avait pas le covid à l’époque. C’était le temps d’avant.

Ça remonte. Depuis combien de temps est-ce que tu taff sur le projet ?

J’ai l’impression que je travaille sur Mode difficile depuis que j’ai commencé la musique. C’est chelou de ouf mais j’ai l’impression que quand j’ai commencé la musique et bien c’est ça que j’ai toujours voulu faire, de la musique qui me ressemble à 200% et en fait, tout ce qui est sorti au fil des années c’était le mode entraînement.

Après l’entraînement vient le mode difficile.

C’est ça ouais. Tout était fait pour que je puisse commencer la partie et l’entamer en mode difficile.

Est qu’il y derrière ça une volonté de s’extirper des cases musicales et au lieu de dire “il fait de la trap, de la drill” dire “il fait du Jewel” ?

Ouais c’est ça, aujourd’hui je pense de plus en plus que quand je me mets sur un morceau et bien c’est pas comparable, “ok c’est bon, lui il a son délire”.

Alors bien sûr tu pourras y trouver des influences, mais à la finalité ça restera mon truc à moi. Par exemple j’entends “Ah on dirait un peu du Disiz, ah on dirait un peu du Alpha Wann” mais si tu prends le temps d’écouter ces deux personnes là, tu captes qu’on a rien à voir. C’est encore différent, c’est encore autre chose.

Le système de taff me parle pas de ouf en vrai. Le système de travailler pour quelqu’un surtout me parle pas

Tu as réalisé le morceau Mode difficile éponyme au projet en 2 parties. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Parce que je pense qu’une partie c’était pas long (rires), voilà j’crois que c’est tout.

Une partie c’était pas long et en fait pour pouvoir avancer dans le propos, j’avais l’impression qu’il fallait que j’en dise encore un petit peu plus parce que justement j’en disais pas assez.

J’en disais pas assez sur ma manière de rejeter un certain système. C’était pas assez sur 1min30. Il fallait 2 minutes de plus pour être sûr que j’ai tout dit tu vois.

Une phrase qui m’a marqué sur le son t’es qu’une merde: tu vas sûrement crier “neg** j’emmerde le monde ! Tout en mettant sagement ton réveil. On a une critique assez violente de la condition humaine et des limites de l’Homme à faire bouger les choses. Est ce que tu peux développer ?

Moi tu vois j’ai 31 ans, je travaille depuis que j’ai 17 ans et du coup des taffs j’en ai vu j’en ai fais et moi je me plaindrais toujours de, de nous mêmes en fait.

“Putain c’est ça qu’on fait ? On vaut pas mieux que ça ? et c’est ça qui m’énerve et qui me révolte. C’est d’abord nous mêmes et notre incapacité à changer notre quotidien parce que on a l’impression d’être obligé à faire un truc alors qu’on est obligé de que dalle si on arrive à y réfléchir correctement. C’est juste que parfois l’esprit est obstrué et tu marches avec des œillères donc t’as l’impression de devoir faire certaines choses alors que pas du tout mec.

Le système de taff me parle pas de ouf en vrai. Le système de travailler pour quelqu’un surtout me parle pas.

Clip “T’es qu’une merde”

Dans cette continuité on retrouve sur le morceau Mode difficile une punchline qui suit ce mindset: Je sais qu’un jour j’en aurais marre que ça soit les autres qui décident. Tu vois comme une frustration le fait de ne pas avoir la liberté de choisir ?

Je pense que c’est un gros combat pour moi-même, j’allais dire pour l’Homme en général mais ça j’en sais rien en fait ducoup je vais juste dire pour moi. Pour moi c’est un grand combat de pouvoir faire ce qu’on veut quand on a envie de le faire.

Tu vois t’as des jours où t’as juste envie de dire “écoute là j’ai pas envie j’y vais pas”.

 Même quand t’es absent au taff ou que tu es en retard et qu’on te demande pourquoi, t’as juste envie de dire “écoute frère quand je me suis levé j’étais à deux doigts de pas venir, ça m’a pris 10 minutes de réflexion et vas-y au final je suis venu. C’est ça qui m’a mis en retard”. T’as envie d’être le plus sincère possible mais en fait t’es dans un système qui ne te permet pas d’être sincère, t’as pas le droit parce que si tu étais réellement sincère et bah tu te ferais virer et ça c’est quelque chose que je dis dans un morceau qui s’appelle Will Hunting qui est un peu plus ancien où je dis qu’on serait viré en essayant d’être nous-même.

Pourtant tu as le pouvoir de t’exprimer dans tes sons et de dire à peu près tout ce que tu veux. Tu conçois ça comme une nécessité ou au contraire plutôt comme un privilège ?

Je pense que j’ai beaucoup de bol de pouvoir faire ça, après que tu m’écoutes ou pas pour moi ça fait pas une grande différence. J’ai un truc à dire, j’le balance mais j’ai beaucoup de chances de pouvoir crier dans quelque chose, déjà pour commencer.

Y’a des gens qui ont peut-être pas cette chance là, une frustration ça s’évacue pas juste en claquant des doigts, moi j’ai surtout de la chance d’avoir ce truc, la musique pour évacuer. Y’en a qui ont autre choses: y’en a qui font de la poterie, d’autres qui plantent des feuilles enfin j’en sais rien tu vois ils ont pleins d’activités.

Moi c’est cool, je peux gueuler dans un micro, ça c’est bien.

Jewel Usain
Photo de Kidhao

Le youtubeur “Le règlement t’avait comparé à Orelsan sur Perdu d’avance  dans la démarche de rapper de façon honnête avec l’utilisation de l’autodérision pour décrire sa condition. Est ce que tu es d’accord avec ce point de vue ?

Je kiffe Orelsan. Tu vois de toutes les personnes à qui on peut me comparer je pense que c’est lui le plus juste. Quand on me dit Disiz, Alpha Wann, c’est cool mais je pense que c’est quand on dit Orelsan que c’est le plus ressemblant, parce que justement il est arrivé avec un discours qui est tellement vrai que moi ça m’a directement parlé.

Tu as une vision que l’on pourrait parfois qualifier de pessimiste vis-à-vis du monde: pourquoi et comment cela se manifeste dans ton quotidien?

Je dirais plus fataliste que pessimiste, y’a un côté ou j’ai peu d’espoir pour beaucoup de choses, ça se manifeste comme ça dans les morceaux. Je pense que ouais je suis vachement terre à terre ce qui fait que je suis pas entrain de m’émerveiller sur tout et n’importe quoi et il y a peut être un coté blasé et déçu.

Cette vision fataliste on l’a retrouve sur le son Mode difficile : On a l’habitude mes potes et moi d’gole-ri devant l’échec.

Ouais encore une fois je mets ça sur le dos du recul que j’ai, c’est à dire que échouer, c’est bon je connais frère ça va pas me tuer, y’a très peu de choses pour lesquelles je ne me relève pas.

C’est la fin de cette interview, merci Jewel de m’avoir accordé un peu de temps, ça m’a fait super plaisir. Dernière  question: qu’est ce que tu aurais à souhaiter au Jewel de dans 10 ans?

Surtout, faire en sorte que personne prenne les décisions à ta place mon pote, voilà, c’est ce que je me dirais.

Belle conclusion. Merci Jewel Usain.

Photo de Tiphen Kys sur le clip de Bruce Lee

L’EP « Mode difficile » de Jewel Usain est disponible en version physique sur le site 99store.fr

Max
Max
Rédacteur - Passionné de rap

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